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Embrun 1939-1945
4 octobre 1999

Paul-Émile Serres

Emile Serres

Paul Émile Serre est né en 1926 à Embrun. À 17 ans, sur les conseils de son père, il entre en résistance et devient membre du Maquis de Boscodon. Il raconte une perquisition, son arrivée juste après l'embuscade des Eaux-douces et ce qui a sauvé Savines d'un bombardement.

Voici le témoignage de Paul-Emile Serre recueilli par le site Paroles de Résistants

Je m’appelle Paul Émile Serre. Je suis né le 4 octobre 1926, à Embrun. Je suis entré dans la Résistance en 1943 sur les conseils de mon père, chef de Trentaine à Savines. C'était mieux que de ne rien faire et de traîner dans les rues. J’étais en seconde. Par précaution, pour avoir une bonne couverture pour la suite des opérations, il m’a inscrit à l’École Universelle [cours par correspondance].

J’ai donc été rattaché au secteur G, secteur d’Embrun qui couvrait le maquis de Boscodon. Pour moi, c’était un peu spécial : je n’étais plus comme les autres. À 17 ans, on cherche un peu à se démarquer. Personne ne disait quoi que ce soit de sa propre appartenance. Mes parents m’avaient bien expliqué le danger de parler.

Durant l’hiver [1943], il ne s’est rien passé du tout. J’envoyais mes devoirs 1 fois par semaine à l’École Universelle, je sciais du bois pour les voisins : je m’occupais. J’ai été utilisé 2 ou 3 fois pour porter des billets à Embrun sans jamais chercher à savoir ce que je transportais. On me donnait un billet, je le transmettais, mon travail s’arrêtait là.

Avant l’occupation allemande, il y avait des Italiens avec qui nous avions des relations assez faciles. C’étaient des jeunes. Ils aimaient s’amuser et nous faisaient danser le samedi soir. C’était interdit, mais on y allait quand même. Ils jouaient de l’accordéon.

Avec l’arrivée des Allemands, ce fut un peu plus sévère. Il a fallu mieux se tenir et faire plus attention à ce que l’on disait, à nos fréquentations.

Pour les parachutages à Morgon, il y avait des gens plus qualifiés que moi qui recevaient des messages venus de Londres qu’ils déchiffraient et transmettaient à quelques-uns. C’est là que j’ai découvert que mes copains de classe étaient engagés comme moi.

La perquisition

Un matin, mon père rentrait de Gap, on a entendu un langage différent. On était dans la maison qui est à l’extérieur du village. Mon père était à son bureau à lire son courrier, maman préparait le repas avec une de mes sœurs, mon autre sœur tirait du vin à la cave. J’étais dans ma chambre.

C’était après les parachutages, car sur ma table j’avais des balles de Colt dans ma bibliothèque des paquets gris de cigarettes anglaises à l’odeur caractéristique et sous mon lit des chaussures anglaises provenant de ces parachutages.

On entend parler, je regarde par la fenêtre et je vois des casques. Je vais au bureau de mon père et lui dis : « Papa, il y a des soldats allemands autour ».

Mongols allemands

Les mongols, mercenaires de la Wehrmacht, par leur cruauté semaient la terreur. Été 1944. Collection Béraud

Il s’avance. On n’avait pas fait 2 pas que cela cognait à toutes les portes. On nous emmène les 4 sur la terrasse (ma soeur Marie-Thérèse n’était pas sortie de la cave). Il y en avait de partout autour de la maison. Plus d’une centaine de soldats, des Mongols [supplétifs de l’armée allemande particulièrement violents et cruels]. Un officier nous dit : « On fouille la maison : terroristes ! » On répond : « Il n’y a pas de terroristes, ce n’est pas possible, on est tous là ! ».

De la terrasse, on entend un bruit de verre brisé. Mon père a tout de suite pensé à ma sœur. Il s’est tout de suite précipité au bord de la terrasse, bousculant un officier qu'il a envoyé valdinguer dans les bégonias, et un soldat qui en a lâché son fusil. Il a été mis en joue aussitôt. Il a regardé et a vu ma sœur affolée de voir ces fusils pointés sur elle et la bouteille cassée à ses pieds. Je n’ai jamais vu mon père aussi blanc que ça ! Un cadavre. Il s’est avancé vers l’Allemand pour lui dire : « depuis quand un officier allemand permet-il qu’un soldat s’attaque à une jeune fille sans défense ? » L’officier a donné un ordre et les fusils se sont baissés.

Mais ils ont fouillé la maison. Mon père a dit : « Chacun sa pièce. Ne faites rien, n’opposez aucune résistance ». Je rentre dans ma chambre avec un soldat. Un autre passe la main sur ma bibliothèque où j’avais mes papiers de cigarette. Tous les livres par terre. Pendant ce temps-là je me suis occupé des 4-5 cartouches [de Colt ] sur ma table. J’ai réussi à les prendre et les mettre dans ma poche.

J’avais sur le mur une grande carte de l’Europe éditée par Paris Match sur laquelle j’avais planté des petits drapeaux. Tous les jours je suivais les opérations à la radio avec mes petits drapeaux ; c’est comme ça que j’ai appris ma géographie. Quand l’Allemand s’est penché sous le lit pour voir s’il y avait quelque chose, je lui ai tapé sur l’épaule et dit que ce n’était que des chaussures. Il n’a pas tendu la main et on a été sauvés.

La cache

L’avant-veille de cette fouille, des gars de Savines sont arrivés, l’un avec un sac tyrolien assez lourd, l’autre avec un colis de 1,50 mètre dans une toile graissée. Ils m’ont dit « Tiens Paul-Emile, on te donne ça, il faut le cacher. On te laisse ça en dépôt, on reviendra le chercher plus tard. » C’étaient 2 fusils-mitrailleurs avec leurs munitions. Je les ai enterrés au bord de la propriété. J’ai fait un trou, bien enlevé l’herbe comme il faut et après avoir tout recouvert remis l’herbe et plante dessus des fleurs.

Peu de temps après, il y a eu cette perquisition. Il y a donc une relation entre la remise des armes et cette perquisition. On a été dénoncé.

L'attaque des Eaux-douces

Le chef du maquis de Savines, le lieutenant Mallet et le chef du maquis de Pontis, le lieutenant Casanova se sont rencontrés à la maison pour projeter une action contre les Allemands. Mon père n’était pas d’accord et leur disait : « Si on fait une action contre les Allemands, on va avoir des représailles. Savines est à 1 km de là, on va y faire passer le village. ».

Eaux douces

Le lieu de l'attaque à l'endroit des Eaux-douces Photo Roger Cézanne

Ils ont décidé que cela se ferait. Mon père était furieux et m’a interdit de venir, quoi qu’il se passe.  Le 27 juillet, je ne sais pas comment je l’ai appris, ils avaient tendu l’embuscade. Tout de suite après manger, je suis parti. Et là j’ai retrouvé quelques-uns que je connaissais. J’ai reconnu mes fusils-mitrailleurs qui s’étaient enrayés. J’ai reconnu Vincent Suquet et Tyran qui avait une balle qui lui avait éclaté la tête. J’ai aidé à mettre son corps sur la plate-forme de la camionnette du maquis de Pontis qui avait été cachée et qui est partie. Les autres sont partis avec des blessés et des prisonniers. Les prisonniers miliciens ont été exécutés par les maquisards.

Les bombardements

Le 15 août [1944], les avions anglais ou américains ont bombardé Sisteron, ici, le pont de la Clapière, et le pont de Bramafan (la voie de chemin de fer à côté de Châteauroux ). La veille, nous avons reçu un commando appelé Hermine,  venu pour faire sauter le pont de Savines. Mon père [qui travaillait  aux Ponts-et-Chaussées] était bien placé pour le savoir, car c’était son métier :  dans tous les ponts il y avait des chambres à mines destinées à les faire sauter en cas de nécessité.

Pont de fer

Le pont de fer routier de Savines. Dynamité par la Résistance le  15 août 1944 pour éviter un bombardement allié. Carte postale

Ils ont bourré les chambres à mines d’explosif et on fait péter le pont.  On a fait évacuer les gens des alentours. Il y a eu des vitres cassées, une blessée. Mais on a évité le bombardement de Savines et la destruction du village.

La Résistance, ce n’est pas quelque chose de négatif. C’est un peu avoir l’esprit critique : ne pas tout accepter.


Les textes entre [ ] sont de la rédaction


 

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Bienvenue dans ce blog consacré à la vie embrunaise durant la seconde guerre mondiale : la vie quotidienne, les maquis, les acteurs, les bombardements, les victimes, les différents destins. De l'occupation italienne à la libération, le récit de ces 6 années à partir de documents, de mémoires tirés souvent à quelques exemplaires à compte d'auteurs et que l'on ne retrouve pas toujours sur Internet.

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